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samedi 7 janvier 2017

Miraï Mizue

Metropolis, 2009

Lorsque l'on pense au cinéma d'animation, le rapport entre la musique et l'image animée apparaît évident. Les dessins animés sont nés avant le cinéma parlant et la musique qui accompagnait alors les péripéties des personnages se devait de mettre en scène ces dernières. Dès 1928 avec Steamboat Willie, le troisième dessin animé de Mickey Mouse, la bande sonore est synchronisée et l'année suivante Disney débute la série des Silly Symphonies dans laquelle la relation entre la musique et les actions montrées à l'image est omniprésente. Aujourd'hui l'héritage de ces dessins animés basés sur le rythme et le mouvement perdurent dans les films d'animation des petits et grands studios.

Au Japon, dans les dessins animés grand public, on retrouve moins ce rapport fusionnel avec la musique sauf dans les cas des génériques des séries (« opening » et « ending ») et des AMV (« anime music video », réappropriation de dessins animés par des fans : des fragments d'animation sont remontés en synchronisation avec une chanson populaire afin de créer un clip vidéo). Du côté de l'animation indépendante, certains réalisateurs pensent l'image animée et le son de manière harmonieuse comme Nobuhiro Aiahara (1944-2011) et Takashi Ito (1956-) mais ils restent cependant assez rares.

C'est par l'enseignement de Masahiro Katayama (1955-2011), grand connaisseur du cinéma d'animation mondial, à l'Université des Beaux-arts de Tama à Tokyo que Miraï Mizue (1981-) découvre au début des années 2000 l'animation indépendante. Mizue réalise depuis des dessins animés souvent abstraits afin d'explorer la musicalité de l'image en mouvement. En 2010, par l'initiative du critique Nobuaki Doi (1981-) et avec Kei Oyama (1978-) et Atsui Wada (1980-), d'autres animateurs qui partagent la même ambition créative et artistique face à l'étouffante production des séries uniformisées au style « manga » dans l'animation japonaise, Miraï Mizue cofonde CALF, un label qui permet à ces animateurs indépendants de diffuser eux-même leurs films, notamment par DVD afin qu'ils soient accessibles à tous et pas uniquement dans les festivals comme c'est le cas pour la majorité des courts métrages. De plus, le développement d'internet a suscité un nouvel engouement pour l'animation indépendante qui s'est fortement accrue au Japon mais aussi dans le monde. Produit par la compagnie CaRTe bLaNChe, le dernier film de Mizue, Wonder, a d'ailleurs été financé par Crowdfunding.


A l'image des premiers peintres abstraits, Miraï Mizue s'est d'abord inspiré de la musique pour réaliser sont premier film, Fantastic Cell en 2003, à partir de la Valse des fleurs du ballet Casse-noisette de Tchaïkovski (dont des extraits furent déjà illustrés dans la deuxième séquence de Fantasia en 1940). Les formes que dessinent Mizue sont constituées de cellules qui leur confèrent un aspect organique et vivant. Ces créatures cellulaires se déplacent, dansent, se séparent ou se fusionnent au rythme de la musique créant peu à peu un vrai microcosme dans lequel l'animateur se plaît à imaginer toutes sortes de monstres complexes qui interagissent parfois entre eux. A la fin du film, les formes jusqu'ici en noir et blanc se parent de couleurs et s'emballent en accord avec l'euphorie finale du morceau. Mizue n'a pas fait de story-board ni écrit de scénario, il a écouté la Valse des fleurs et improvisé au fil de son imagination le dessin animé : la transposition visuelle de la musique qui en résulte est subjective ; mais l'animateur reste suffisamment abstrait pour que le regardeur conserve une liberté d'interprétation tout en redécouvrant un air musical qu'il a déjà entendu. Montré avec le morceau musical en bande sonore, le dessin animé devient une œuvre autonome dans laquelle son et image sont complémentaires. Ce premier film de Miraï Mizue contient le dessein qui guidera toutes les créations de l'animateur, celui de rendre un film d'animation divertissant sans l'obligation narrative, mais en stimulant l'imagination du regardeur par l'abstraction musicale.

« When I make an animation film, my primary intention is not to tell a story but to make the viewer experience something through movements and metamorphism. By virtue of the process of cell division, the cell lends itself very well to this objective. » (Mizue, lors d'une interview en 2010 pour son DVD)

Miraï Mizue se libère de la contrainte du récit par une animation improvisée qui tend à l'abstraction. Il ne fait pas de brouillon et dessine directement sur le papier les contours des cellules puis les lignes internes et enfin la couleur. L'animateur scan ensuite chaque dessin et monte les différents éléments animés sur ordinateur comme une composition musicale avec des variations de rythmes, des répétitions, des boucles, … L'animation traditionnelle dessinée à la main est importante pour lui car elle confère une "sonorité" à la texture, comme les traces de dilution de l'encre. Mizue a d'ailleurs expérimenté l'animation de liquide et d'encre dès 2003 avec Minamo puis il a retenté avec de l'huile en 2009 avec Blend pour avoir plus de contrôle sur la dilution et la diffusion des couleurs.

Pour l'accompagnement sonore, Mizue travaille avec des musiciens pour créer une musique synchronisée avec l'animation. D'une certaine manière le musicien traduit le dessin animé en musique et c'est en ce sens que le travail de Mizue se distingue de celui d'Oskar Fischinger (1900-1966) (sauf pour son premier film Fantastic Cell) : le peintre et réalisateur allemand interprétait en peinture animée une musique déjà existante. Comme l'animateur japonais, Fischinger cherchait une symbiose entre le son et l'image par le cinéma d'animation et par l'imagination (ce qui a logiquement orienté Walt Disney vers Fischinger pour la séquence Toccata et Fugue en Ré Mineur de Fantasia).

L'image pour Mizue est déjà musicale. Dans le fascicule qui accompagne son DVD, il dit à propos de son film Playground, qu'il a réalisé en 2010, s'être inspiré des peintures de Joan Miró (1893-1983) : « I like the paintings as I can feel the movement and music exuding from them. I draw much of my inspiration from abstract painting. » Ce film présente une métamorphose constante de formes organiques et colorées qui ne cessent de fusionner ou de se diviser. Très pictural, l'animation de Mizue s'émancipe de la structure cellulaires et devient beaucoup plus malléable et élastique. La vitesse reste stable mais le léger crescendo musical anticipe l'affolement tachiste final. Alors que l'animateur se dit déçu par ses expériences d'animation de liquide et d'encre que j'ai évoquées plus haut, on retrouve dans Playground la fluidité dynamique et bouillonnante qu'il semblait y chercher.

Inspiré par les illusions d'optique d'Escher et pour un résultat presque en opposition avec l'aspect organique, Mizue s'est imposé la contrainte de n'utiliser que trois orientations de droites (deux diagonales et une verticale) afin de réaliser une animation géométrique en isométrie, Modern, finalisée deux mois après Playground. Les formes colorées ainsi animées font de suite penser au dessin industriel et la musique synchronisée peine à égayer leurs mouvements mécaniques et uniformes. Pour ModernNo.2 réalisé en 2011, l'animateur a varié les rythmes et les parallélépipèdes rectangle se métamorphosent de manière plus dynamique. Aussi, il a dessiné sur un papier japonais traditionnel qui possède une certaine teinte et texture ce qui réchauffe l'ambiance coloré. En travaillant avec le même musicien, Mizue lui a demandé d'accroître le tempo pour que la musique soit clairement plus rapide et joyeuse. Ces deux dessins animés montrent qu'un minimum d'éléments animés peut produire un film riche en animation.

Féru d'expérimentations, Mizue a rendu hommage à Norman McLaren (1914-1987) avec The Baby Birds of Norman McLaren pour les cent ans de sa naissance. Le réalisateur canadien a énormément expérimenté et innové en animation avec un souci constant de la relation entre l'image et le son. Son film Synchromie de 1971 est sûrement le dessin animé qui représente le mieux et avec succès cette recherche de symbiose audio-visuelle puisque ce que l'on voit à l'image sont les bandes mêmes sur lesquelles McLaren a dessiné chaque son. Le dessin est ici utilisé comme un outil pour créer directement le son. Pour Miraï Mizue, le dessin est imaginé puis animé et c'est cette animation que le musicien interprète, traduit en musique de manière subjective par l'imagination. Selon moi cette capacité d'imaginer un rythme, une note ou un timbre à partir d'un dessin est centrale dans le travail de Miraï Mizue.

Justement, l'animateur japonais a proposé il y a cinq ans sur Youtube un alphabet de timbres visuels (notons que le mot japonais pour « timbre » ou « ton », 音色 neiro signifie littéralement « la couleur du son »). Pour chaque lettre, des sons sont associés à des formes animées et Mizue a additionné ce vocabulaire visuel et sonore en une vidéo, a longday of timbre. Les formes sonores surgissent les unes après les autres en crescendo jusqu'à l'euphonie générale. Mizue avait déjà réalisé un film en 2009, Jam, sur ce principe mais c'était surtout une cacophonie générale qui finissait par régner.

Son dernier film Wonder a été produit en 2014 par la compilation de 365 dessins animés de 1 seconde (24 images) dessinés et peints chaque jour du 1 avril 2012 au 31 mars 2013. Le dessin animé a été mis en musique par le groupe japonais les Pascals très populaire au Japon et le résultat est très joyeux, la musique semblant elle-même danser au rythme de la métamorphose des formes colorées. Se concluant comme Playground sur une exaltation picturale et musicale, Wonder fait l'éloge de la créativité et de l'imagination.


Chaque œuvre de Miraï Mizue possède une même ambiance picturale et musicale. Mais puisque la relation entre le son et l'image est subjective, l’ouïe et la vue risquent d'entrer en concurrence si certaines dissonances sont trop évidentes. Un spectateur appréciant beaucoup la musique d'un film n'accordera que peu d'attention à l'image, et réciproquement si le spectateur est happé par l'animation. Même si Mizue s'attache à créer des films audio-visuels, il ne réalise véritablement que la partie animation. Toutefois, les collaborations avec les musiciens me semblent dans l'ensemble réussies tout en étant singulières à chaque film. On peut donc reconnaître aux dessins animés de Miraï Mizue la même justesse harmonique qu'aux œuvres de Fischinger et de McLaren.

Ces dernières années, d'autres animateurs ont commencé à développer une relation particulière à la musique comme Masaki Okuda (1985-) et Yutaro Kubo (1990-) et la pratique des VJ (visual jokey, artiste qui anime une projection vidéo en tant réel en synchronisation avec la musique souvent lors de concert) comme Takashi Ohashi (1986-) s'est répandue. Mais l'artiste qui explore le plus remarquablement la relation entre le son et le visuel est surement Toshio Iwai (1962-) avec ses installations interactives. A l'aide des nouvelles technologies, l'artiste propose de nouvelles manières de créer de la musique, notamment électronique. Il a même créé un l'instrument Tenori-on qui permet à l'aide d'un écran composé d'un grille de LED de réaliser une musique évolutive par boucle. Toshio Iwai a aussi participé à la création de jeux vidéo, média dans lequel la synchronisation des sons avec l'image est primordiale (d'où le grand nombre de jeux basés la musique...).



SOURCES
le blog Nishikataeiga (de Catherine Munroe Hotes) sur le cinéma d'animation indépendant

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