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Metropolis, 2009 |
Lorsque
l'on pense au cinéma d'animation, le rapport entre la musique et
l'image animée apparaît évident. Les dessins animés sont nés
avant le cinéma parlant et la musique qui accompagnait alors les
péripéties des personnages se devait de mettre en scène ces
dernières. Dès 1928 avec Steamboat Willie, le troisième
dessin animé de Mickey Mouse, la bande sonore est synchronisée et
l'année suivante Disney débute la série des Silly Symphonies
dans laquelle la relation entre la musique et les actions montrées à
l'image est omniprésente. Aujourd'hui l'héritage de ces dessins
animés basés sur le rythme et le mouvement perdurent dans les films
d'animation des petits et grands studios.
Au
Japon, dans les dessins animés grand public, on retrouve moins ce
rapport fusionnel avec la musique sauf dans les cas des génériques
des séries (« opening » et « ending ») et
des AMV (« anime music video », réappropriation de
dessins animés par des fans : des fragments d'animation sont
remontés en synchronisation avec une chanson populaire afin de créer
un clip vidéo). Du côté de l'animation indépendante, certains
réalisateurs pensent l'image animée et le son de manière
harmonieuse comme Nobuhiro Aiahara (1944-2011) et Takashi Ito (1956-)
mais ils restent cependant assez rares.
C'est
par l'enseignement de Masahiro Katayama (1955-2011), grand
connaisseur du cinéma d'animation mondial, à l'Université des
Beaux-arts de Tama à Tokyo que Miraï Mizue (1981-) découvre au
début des années 2000 l'animation indépendante. Mizue réalise
depuis des dessins animés souvent abstraits afin d'explorer la
musicalité de l'image en mouvement. En 2010, par l'initiative du
critique Nobuaki Doi (1981-) et avec Kei Oyama (1978-) et Atsui Wada
(1980-), d'autres animateurs qui partagent la même ambition créative
et artistique face à l'étouffante production des séries
uniformisées au style « manga » dans l'animation
japonaise, Miraï Mizue cofonde CALF, un label qui permet à ces
animateurs indépendants de diffuser eux-même leurs films, notamment
par DVD afin qu'ils soient accessibles à tous et pas uniquement dans
les festivals comme c'est le cas pour la majorité des courts
métrages. De plus, le développement d'internet a suscité un
nouvel engouement pour l'animation indépendante qui s'est fortement
accrue au Japon mais aussi dans le monde. Produit par la compagnie
CaRTe bLaNChe, le dernier film de Mizue, Wonder, a d'ailleurs
été financé par Crowdfunding.
A
l'image des premiers peintres abstraits, Miraï Mizue s'est d'abord
inspiré de la musique pour réaliser sont premier film, Fantastic
Cell en 2003, à partir de la Valse des fleurs du ballet
Casse-noisette de Tchaïkovski (dont des extraits furent déjà
illustrés dans la deuxième séquence de Fantasia en 1940).
Les formes que dessinent Mizue sont constituées de cellules qui leur
confèrent un aspect organique et vivant. Ces créatures cellulaires
se déplacent, dansent, se séparent ou se fusionnent au rythme de la
musique créant peu à peu un vrai microcosme dans lequel l'animateur
se plaît à imaginer toutes sortes de monstres complexes qui
interagissent parfois entre eux. A la fin du film, les formes
jusqu'ici en noir et blanc se parent de couleurs et s'emballent en
accord avec l'euphorie finale du morceau. Mizue n'a pas fait de
story-board ni écrit de scénario, il a écouté la Valse des
fleurs et improvisé au fil de son imagination le dessin animé :
la transposition visuelle de la musique qui en résulte est
subjective ; mais l'animateur reste suffisamment abstrait pour
que le regardeur conserve une liberté d'interprétation tout en
redécouvrant un air musical qu'il a déjà entendu. Montré avec le
morceau musical en bande sonore, le dessin animé devient une œuvre
autonome dans laquelle son et image sont complémentaires. Ce premier film de Miraï Mizue contient le dessein qui guidera toutes les créations de l'animateur, celui de rendre un film d'animation divertissant sans l'obligation narrative, mais en stimulant l'imagination du regardeur par l'abstraction musicale.
« When
I make an animation film, my primary intention is not to tell a story
but to make the viewer experience something through movements and
metamorphism. By virtue of the process of cell division, the cell
lends itself very well to this objective. » (Mizue, lors d'une
interview en 2010 pour son DVD)
Miraï
Mizue se libère de la contrainte du récit par une animation
improvisée qui tend à l'abstraction. Il ne fait pas de brouillon et
dessine directement sur le papier les contours des cellules puis les
lignes internes et enfin la couleur. L'animateur scan ensuite chaque
dessin et monte les différents éléments animés sur ordinateur
comme une composition musicale avec des variations de rythmes, des
répétitions, des boucles, … L'animation traditionnelle dessinée
à la main est importante pour lui car elle confère une "sonorité" à la texture,
comme les traces de dilution de l'encre. Mizue a
d'ailleurs expérimenté l'animation de liquide et d'encre dès 2003
avec Minamo puis il a retenté avec de l'huile en 2009 avec
Blend pour avoir plus de contrôle sur la dilution et la
diffusion des couleurs.
Pour
l'accompagnement sonore, Mizue travaille avec des musiciens pour
créer une musique synchronisée avec l'animation. D'une certaine
manière le musicien traduit le dessin animé en musique et c'est en
ce sens que le travail de Mizue se distingue de celui d'Oskar
Fischinger (1900-1966) (sauf pour son premier film Fantastic
Cell) : le peintre et réalisateur allemand interprétait en
peinture animée une musique déjà existante. Comme l'animateur japonais, Fischinger cherchait une symbiose entre le son et
l'image par le cinéma d'animation et par l'imagination (ce qui a
logiquement orienté Walt Disney vers Fischinger pour la séquence
Toccata et Fugue en Ré Mineur de Fantasia).
L'image
pour Mizue est déjà musicale. Dans le fascicule qui accompagne son
DVD, il dit à propos de son film Playground, qu'il a réalisé
en 2010, s'être inspiré des peintures de Joan Miró
(1893-1983) : « I like the paintings as I can feel the
movement and music exuding from them. I draw much of my inspiration
from abstract painting. » Ce film présente une métamorphose
constante de formes organiques et colorées qui ne cessent de
fusionner ou de se diviser. Très pictural, l'animation de Mizue
s'émancipe de la structure cellulaires et devient beaucoup plus
malléable et élastique. La vitesse reste stable mais le léger
crescendo musical anticipe l'affolement tachiste final. Alors que
l'animateur se dit déçu par ses expériences d'animation de liquide
et d'encre que j'ai évoquées plus haut, on retrouve dans Playground
la fluidité dynamique et bouillonnante qu'il semblait y chercher.
Inspiré
par les illusions d'optique d'Escher et pour un résultat presque en
opposition avec l'aspect organique, Mizue s'est imposé la contrainte
de n'utiliser que trois orientations de droites (deux diagonales et
une verticale) afin de réaliser une animation géométrique en
isométrie, Modern, finalisée deux mois après
Playground. Les formes colorées ainsi animées font de suite
penser au dessin industriel et la musique synchronisée peine à
égayer leurs mouvements mécaniques et uniformes. Pour ModernNo.2 réalisé en 2011, l'animateur a varié les rythmes et les
parallélépipèdes rectangle se métamorphosent de manière plus
dynamique. Aussi, il a dessiné sur un papier japonais traditionnel
qui possède une certaine teinte et texture ce qui réchauffe
l'ambiance coloré. En travaillant avec le même musicien, Mizue lui
a demandé d'accroître le tempo pour que la musique soit clairement
plus rapide et joyeuse. Ces deux dessins animés montrent qu'un
minimum d'éléments animés peut
produire un film riche en animation.
Féru
d'expérimentations, Mizue a rendu hommage à Norman McLaren
(1914-1987) avec The Baby Birds of Norman McLaren pour les
cent ans de sa naissance. Le réalisateur canadien a
énormément expérimenté et innové en animation avec un souci
constant de la relation entre l'image et le son. Son film Synchromie
de 1971 est sûrement le dessin animé qui représente le mieux et
avec succès cette recherche de symbiose audio-visuelle puisque ce
que l'on voit à l'image sont les bandes mêmes sur lesquelles
McLaren a dessiné chaque son. Le dessin est ici utilisé comme un
outil pour créer directement le son. Pour Miraï Mizue, le dessin
est imaginé puis animé et c'est cette animation que le musicien
interprète, traduit en musique de manière subjective par
l'imagination. Selon moi cette capacité d'imaginer un rythme, une
note ou un timbre à partir d'un dessin est centrale dans le travail
de Miraï Mizue.
Justement,
l'animateur japonais a proposé il y a cinq ans sur Youtube un
alphabet de timbres visuels (notons que le mot japonais pour
« timbre » ou « ton », 音色 neiro signifie
littéralement « la couleur du son »). Pour chaque
lettre, des sons sont associés à des formes animées et Mizue a
additionné ce vocabulaire visuel et sonore en une vidéo, a longday of timbre. Les formes sonores surgissent les unes après les
autres en crescendo jusqu'à l'euphonie générale. Mizue avait déjà
réalisé un film en 2009, Jam, sur ce principe mais c'était
surtout une cacophonie générale qui finissait par régner.
Son
dernier film Wonder a été produit en 2014 par la compilation
de 365 dessins animés de 1 seconde (24 images) dessinés et peints
chaque jour du 1 avril 2012 au 31 mars 2013. Le dessin animé a été
mis en musique par le groupe japonais les Pascals très populaire au
Japon et le résultat est très joyeux, la musique semblant elle-même
danser au rythme de la métamorphose des formes colorées. Se
concluant comme Playground sur une exaltation picturale et
musicale, Wonder fait l'éloge de la créativité et de
l'imagination.
Chaque œuvre de Miraï Mizue possède une même ambiance picturale et musicale. Mais puisque la relation entre le son et l'image est subjective, l’ouïe et la vue risquent d'entrer en concurrence si certaines dissonances sont trop évidentes. Un spectateur appréciant beaucoup la musique d'un film n'accordera que peu d'attention à l'image, et réciproquement si le spectateur est happé par l'animation. Même si Mizue s'attache à créer des films audio-visuels, il ne réalise véritablement que la partie animation. Toutefois, les collaborations avec les musiciens me semblent dans l'ensemble réussies tout en étant singulières à chaque film. On peut donc reconnaître aux dessins animés de Miraï Mizue la même justesse harmonique qu'aux œuvres de Fischinger et de McLaren.
Ces dernières années, d'autres animateurs ont commencé à développer une relation particulière à la musique comme Masaki Okuda (1985-) et Yutaro Kubo (1990-) et la pratique des VJ (visual jokey, artiste qui anime une projection vidéo en tant réel en synchronisation avec la musique souvent lors de concert) comme Takashi Ohashi (1986-) s'est répandue. Mais l'artiste qui explore le plus remarquablement la relation entre le son et le visuel est surement Toshio Iwai (1962-) avec ses installations interactives. A l'aide des nouvelles technologies, l'artiste propose de nouvelles manières de créer de la musique, notamment électronique. Il a même créé un l'instrument Tenori-on qui permet à l'aide d'un écran composé d'un grille de LED de réaliser une musique évolutive par boucle. Toshio Iwai a aussi participé à la création de jeux vidéo, média dans lequel la synchronisation des sons avec l'image est primordiale (d'où le grand nombre de jeux basés la musique...).
Ces dernières années, d'autres animateurs ont commencé à développer une relation particulière à la musique comme Masaki Okuda (1985-) et Yutaro Kubo (1990-) et la pratique des VJ (visual jokey, artiste qui anime une projection vidéo en tant réel en synchronisation avec la musique souvent lors de concert) comme Takashi Ohashi (1986-) s'est répandue. Mais l'artiste qui explore le plus remarquablement la relation entre le son et le visuel est surement Toshio Iwai (1962-) avec ses installations interactives. A l'aide des nouvelles technologies, l'artiste propose de nouvelles manières de créer de la musique, notamment électronique. Il a même créé un l'instrument Tenori-on qui permet à l'aide d'un écran composé d'un grille de LED de réaliser une musique évolutive par boucle. Toshio Iwai a aussi participé à la création de jeux vidéo, média dans lequel la synchronisation des sons avec l'image est primordiale (d'où le grand nombre de jeux basés la musique...).
SOURCES
le blog Nishikataeiga (de Catherine Munroe Hotes) sur le cinéma d'animation indépendant
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